Selon le Larousse, un choix cornélien est un choix « Qui présente un conflit analogue à ceux des tragédies de Corneille. ». C’est un dilemme entre le devoir et l’amour, un choix difficile qui oppose la raison et les sentiments. Pour ma part, j’ai trouvé au départ que ce déconfinement nous imposait, à nous parents, un choix cornélien vis-à-vis de nos enfants. C’est déstabilisant de constater comme nous attendions tous le déconfinement avec impatience pour qu’au final, on ne le trouve pas aussi libérateur qu’on l’espérait. En ce début de semaine, j’ai presque l’impression de me réveiller d’une gueule de bois avec cette impression d’avoir vécu quelque chose d’unique où on a vacillé, parfois, mais il y avait cette contradiction de se sentir si libre tout en étant enfermé.
J’ai choisi cette photo pour illustrer ce sujet car je la trouve pure, à l’image de nos enfants. Elle m’inspire de la légèreté quand nous, adultes, devons nous tordre les méninges pour trouver la solution la moins pire pour les jours à venir à savoir : mes enfants vont il retourner en collectivité (école ou crèche) ou est-ce que je les garde à la maison avec toutes les conséquences que cela implique?
Des états de faits, des hypothèses et des conclusions, rejoignant la raison ou les sentiments, se sont bousculés dans nos esprits de parents. Même s’il voit sa maîtresse et ses copains de façon hebdomadaire en visioconférence, Pierre voulait revoir ses copains à l’école, faire des activités ou préparer la fête d’école en groupe, il veut continuer à raconter des histoires sur la route de l’école… Et puis, je n’en peux plus de ce rôle de maîtresse d’école, moi qui n’envisageait pas du tout l’IEF ! Il faudrait se remettre sérieusement au travail si on ne veut pas courir à la catastrophe. Ça ferait du bien de se retrouver seule avec soi-même toute une journée, ou entre adultes pour ne pas avoir de conversations entrecoupées… Bien que ce confinement avec deux enfants en bas âge me fasse péter des câbles, j’ai peur de les renvoyer en collectivités. Je ne veux pas lui faire courir le risque d’être malade ou de transmettre le virus au personnel de l’école… Autant d’idées qui se sont bousculées dans ma tête ces derniers jours.
Pierre voulait retourner à l’école sans connaitre, du haut de ses presque 5 ans, les conditions de réouverture des établissements scolaires. Nous lui avons expliqué (en synthétique) comment l’école aura changé ce mardi 12 mai :
- il n’y aura pas d’activité de peinture,
- non, le carnaval manqué ne sera pas reprogrammé,
- il n’y aura pas de fête d’école,
- il n’y aura pas de journée bibliothèque,
- tu ne joueras pas au loup avec tes amis dans la cour, ni à rien d’autre d’ailleurs…
- tu ne pourras pas aller aux toilettes quand tu le souhaites pour cause de désinfection,
- tu ne pourras pas utiliser le matériel pédagogique car l’école n’a pas le personnel nécessaire pour désinfecter derrière chaque enfant,
- la maîtresse ne pourra pas s’approcher de chaque enfant donc apprendre va être compliqué…
- surtout tu ne fais de bisou à personne en arrivant,
- l’une de tes deux maitresses est vulnérable face au coronavirus, donc ton école maternelle ne réouvre que les mardi et vendredi alors tu as peut-être 2 jours d’école à faire au mois de mai en considérant le 8 mai et la priorité aux enfants de soignants et enseignants.
- considérant le rythme de lavage de mains imposé et l’unique point d’eau dans la classe, quand le dernier aura fini de se laver les mains avant d’aller manger, la cantine aura déjà réglé la plonge !
- on en parle de la crèche qui n’acceptera aucun enfant avec le nez qui coule ? Bref, la crèche va être vide ou je ne m’y connais pas.
- liste non exhaustive…
En écoutant deux mesures à peine, il s’apprêtait à pleurer donc on l’a vite rassuré en lui disant « oui, c’est moche, c’est pour cela que tu vas rester à la maison ».
On a feuilleté plus ou moins en diagonale les 54 pages de protocole sanitaire adressé au corps enseignant et j’ai trouvé tout cela si lugubre et tellement déconnecté de toute dimension humaine! J’en ai eu des sueurs froides et ça m’a insufflé un vent de tristesse. Est revenue l’ambivalence maternelle : si je le remets à l’école, je ne suis pas une bonne mère. Si je ne le remets pas à l’école, on repart en mode confinement ou presque, et c’est dur d’être une bonne mère/ bonne maîtresse / de gagner de l’argent/ bonne ménagère/ et puis, après tout ça d’être belle et aimable avec toute la famille, etc.
Finalement, dans ce dilemme, la raison a plutôt rejoint les sentiments pour faire un choix : Pierre ne retourne pas à l’école cette semaine et Juliette laisse la place aux autres en crèche. Concernant mon grand, j’ai le sentiment que lui imposer de retourner à l’école, même une fois par semaine, le bousillerait émotionnellement dans son rapport à l’école. Si on le garde à la maison, il n’a pas d’interactions avec ses camarades. Si on lui fait réintégrer l’enceinte de l’école, il n’aura pas d’interactions avec ses camarades.
Je n’ai pas eu envie ni de lui expliquer ni de le mettre face à la brutalité de cette intrusion de l’urgence sanitaire dans son école. Techniquement, continuer de pratiquer l’école à distance sera plus productif avec moi comme on l’a fait ces 6 dernières semaines, plutôt que dans cette ambiance de classe où les enseignants (que je plains d’être garants de ce protocole) vont devoir remettre en question chaque habitude, dans un environnement complètement changé et barricadé, en faisant attention à parler intelligiblement alors qu’ils seront asphyxié sous leurs masques… Il est évident que les enseignants, dans ce contexte déstabilisant, sont forcés de se contenter d’occuper les enfants et non de leur fournir un enseignement optimal.
Le choix de remettre ou non son enfant à l’école appartient à chaque famille et quiconque (enseignant, voisin, famille ou amis) ne doit juger ce choix. Effectivement, il n’y a pas de choix ou de conséquences universelles. Il y en a autant que de configurations familiales et personnelles dans ce pays ! Je ne délivre pas ici mon choix pour chercher à influencer quiconque. Je souhaitais partager, comme j’ai l’habitude de faire, des sentiments, des mots sur les maux et puis pour vous expliquer pourquoi j’aurai sûrement du mal les jours à venir à créer du contenu par ici aussi bien et aussi souvent que je le voudrais… Ne nous jugeons pas les uns les autres, la situation est déjà bien assez complexe.
Delphine
mai 22, 2020Coucou Justine,
Ici pour mon petit loup de 4 ans, la reprise se fera lundi.
Tout comme chez vous nous avons longtemps hésité, il était question qu’il ne reprenne pas, puis on s’est laissé le temps de la réflexion, de voir comment se dérouler les premières semaines d’école.. et puis avoir des retours d’expérience des parents soignants pour qui les enfants ont déjà bien expérimenté cette « nouvelle école » depuis bien longtemps..
Ici Papa a repris le travail à 100% depuis le 11/05, je suis en télétravail, solo avec 2 enfants de 4 ans et 11 mois, cette gymnastique m’impose un rythme plus soutenu que lorsque je vais au bureau, en RH la charge ne manque pas bien au contraire en ce moment, j’ai dis adieu à ma journée de congé parental depuis le 16/03 (mais mon salaire lui n’est malheureusement pas réévaluer lol) et il m’arrive même de devoir bosser le dimanche.. Mon grand a explosé son quota de dessin animé depuis bien longtemps pour me laisser assumer ma conf call hebdomadaire sans interruption à coup de « mamaaaaan il est où mon pat patrouille ? » et je prie chaque jour pour que bébé assure 2h de sieste sans coupure pour que je puisse me concentrer et sécuriser les paies des salariés..bref..le télétravail c’est loin d’être un rêve lol
La maîtresse nous a transmis cette semaine les consignes, pour rappel puisque nous avions déjà eu le protocole, des photos de la classe pour montrer et expliquer aux enfants.., depuis le 16/03 mon grand a bien ancré qu’il y avait « une maladie dehors et du coup on peut pas tout faire maman ».. peut être que la transition est du coup plus facile pour lui vers cette nouvelle école..
J’en aurai pleuré en découvrant sa classe si aseptisée, je me suis dis non il n’ira pas, et puis on lui en a parlé, on lui a expliqué, on lui a montré et voila ses réponses:
– oui maman je sais on a pas le droit de toucher les gens, ni Madame ni nadine, comme avec papy et mamie
– oh génial maman t’as vu c’est comme une nouvelle classe
– quand je lui explique le principe de la récréation : « oh maman génial c’est comme si j’avais une maison à moi t’as vu »
Ils seront 4 en classe, il n’ira que le matin c’est bien suffisant à son âge avec toutes ces règles. Je suis tellement impressionnée par sa facilité à voir la vie du bon côté, on a tellement à apprendre d’eux.
Si l’atmosphère le pèse il n’ira plus, mais après lui avoir tout expliqué quand je lui ai demandé « Thomas est ce que tu veux retourner a l’école? » C’est avec un grand oui qu’il nous a répondu
Travaillant dans le médico social, auprès d’un public d’enfant, ma vision est certainement différente pendant ce contexte, malgré toutes ces mesures je sais que chaque jour les enfants gardent le sourire, rient aux éclats et ont pris l’habitude de voir leur Educ. masqué.
Cette nouvelle routine nous permettra à tous de retrouver un rythme plus « normal » et surtout me laissera le temps d’avoir du temps de qualité pour mes enfants sans me dire « p*** il veut jouer mais je dois finir mon taff, non Thomas maman ne peut pas jouer avec toi elle doit travailler tu sais bien ».. parce que ça aussi pour lui ce n’est pas un contexte normal d’avoir une maman qui travaille au milieu du salon, doit répondre au téléphone et lui dit chuuuuut 50 fois par jour..
Par contre j’avoue avoir quelques difficultés face aux critiques des parents comme si on envoyait nos enfants au front en les déposant le matin en classe, ou qu’on aimait pas nos enfants car parent indigne qui ose envoyer son enfant en classe haha mais au bout de 4 ans de parentalité j’ai bien compris que chacun de nos choix sera toujours durement jugé par les uns et les autres, crise sanitaire ou pas hahaha Comme tu le dis chaque situation est différente et chaque famille a ses particularités son mode de vie et personne ne peut juger.. Surtout quand chaque famille débordé d’amour :-)
Justine
mai 24, 2020Salut Delphine !
Aïe Aïe Aïe, je sens que pour toi aussi le confinement a été très long. Je comprends vos choix, je trouve ça très difficile, voire impossible de réussir à travailler à la maison avec deux enfants en bas âge, et clairement ça tue l’ambiance.
Il n’est pas exclu ici que Pierre retourne à l’école début juin mais comme expliqué dans mon article : avec le fait qu’il y’a priorité aux enfants du personnel soignant et enseignant et que une des deux maitresses ne peut pas reprendre, ce ne sera q’une journée par semaine donc dur de travailler tout de même.
C’est vraiment la merde cette pandémie !
bon courage pour la suite.
Justine